L’incroyable aventure de Jean-Timothée Garenne. Conte de Pâques

Nous publions volontiers le nouveau conte de Pâques rédigé et illustré par notre paroissien et ami, Alain Sartelet.

Bonne lecture


L’INCROYABLE AVENTURE DE JEAN-THIMOTHÉE GARENNE, ENFANT DE CHŒUR À NOTRE-DAME DES BLANCS-MANTEAUX

Un conte de Pâques, écrit et dessiné par Alain Sartelet

Paris, en l’an de grâce 1832…. En ce temps-là, la paroisse des Blancs-Manteaux disposait d’une dizaine d’enfants de chœur, leur frimousse et le flot de dentelles dont ils étaient revêtus donnaient aux offices une note céleste fort appréciée des fidèles, oui, un charme délicieux qui annonçait les félicités de l’Au-delà…

Le petit Jean-Timothée, appelons-le Jean, voulez-vous, était l’heureux neveu du nouveau curé de la paroisse, Charles-Félix Garenne, de très sainte mémoire. Cet enfant de chœur se distinguait des autres car il était aussi intelligent que pieux mais il avait un défaut, la curiosité, une curiosité sans borne qui aurait pu mille fois le perdre mais qui pourtant lui permit de vivre une aventure sans pareille comme vous l’allez voir dans le récit qui suit…

Notre histoire commence donc au matin du jeudi Saint de l’an 1832.

À la sacristie, bourdonnante comme une ruche, on préparait l’office, on se remémorait l’ordonnancement des prières, notamment les paroles du Gloria ou Gloire à Dieu, traditionnellement accompagnées de tintements de clochettes auxquels succédait le bruit affreux des crécelles marquant la mort du Christ.

Jean connaissait parfaitement la légende qui voulait que les cloches de chaque église à la fin du Gloria, quittent leur clocher pour voler vers Rome et en revenir au matin de Pâques…

Vérité ou légende, on en discutait beaucoup à la sacristie. Chacun savait que les cloches étaient muettes pendant ces trois jours mais quittaient-elles réellement leur clocher, voilà la grande question. Jean, taraudé par le désir de connaître la vérité vraie, prit une grave décision, il manqua l’office et monta discrètement au clocher afin de voir de ses propres yeux ce qui se passait…

À l’heure dite il s’échappa et à vrai dire, au milieu des flots d’encens et de la nuée blanche des enfants de chœur, on ne remarqua point son absence… Il connaissait la petite armoire où était accrochée la clé de la minuscule porte qui montait à la tour. Il s’en empara et monta… Mon Dieu toute cette obscurité et ces marches sans fin, feutrées de grise poussière, quelle épreuve pour ses petites jambes…

Il parvint enfin à la chambre des cloches. Il fut un peu déçu de constater que toutes les cloches étaient là, les merveilleuses cloches offertes par le roi Charles X et Madame la duchesse d’Angoulême… Un profond silence régnait, seuls les échos lointains de l’office lui parvenaient… Soudain, le Gloria retentit puis les clochettes et les crécelles… Il crut rêver, devant lui, un à un, les grands vaisseaux de bronze se détachaient des charpentes, les cordages tombaient sur le plancher avec un bruit sourd, soulevant des nuages de poussière. Les cloches semblaient désormais flotter dans l’air, aussi légère que des plumes. Des ailes blanches apparurent sur les flancs vert-de-grisés. La grosse cloche, reine Marie, presque un bourdon, s’approcha de Jean et il entendit distinctement ceci : « Jean, si tu le veux bien, accroches-toi à moi, je t’emmène à Rome » Jean, interdit ne se le fit pas dire deux fois… Les murailles du clocher comme par miracle se dissolvaient peu à peu, les cloches déployèrent leurs ailes et après quelques battements d’essai, toutes s’élancèrent dans le ciel de Paris. Jean tenait ferme le bronze mais lui aussi semblait léger comme l’air. Il contempla le spectacle de Paris vu du ciel, on croisa les cloches de Notre-Dame menées par Emmanuel, le grand bourdon du roi Louis XIV qui seul avait des ailes d’or. Puis on vit dans le ciel de Paris des nuées sombres de cloches, petites et grandes, par centaines, qui filaient dans l’air comme d’étranges oiseaux migrateurs.

Le voyage fut extrêmement rapide, on survola Lyon, les Alpes enneigées puis Turin, Florence et enfin, ce fut Rome. Lorsque se profila à l’horizon la gigantesque coupole de Saint-Pierre, le flot des cloches s’était fait torrent, océan, le monde entier avait laissé partir ses cloches, ces voix du Seigneur, qui convergeaient par millions, en mission vers le saint lieu où reposait l’apôtre Pierre.

Une à une, elles se posèrent doucement, sans un bruit sur le pavé de l’immense place Saint-Pierre, dans les cours et même dans les jardins pontificaux. Jean remarqua que les fidèles qui convergeaient vers la basilique ne voyaient rien, ne se doutaient de rien, ils passaient au travers elles comme si elles n’étaient que des ombres ou de la brume… La halte romaine dura trois jours, trois jours de méditation et de prière pour Jean.

À l’aurore du matin de Pâques, c’est la bénédiction du Saint-Père, Grégoire XVI, qui le tira de ses oraisons. Alors, en une gigantesque envolée toutes les cloches regagnèrent les airs, vite, vite, il fallait rentrer, retrouver chacune son pays, son église, sa place, sa mission et sa voix. Jean avait repris son poste comme pour l’aller, tenant ferme le vaisseau de bronze. Le voyage dura le temps d’un Angélus et déjà là-bas, au loin, se déroulait le ruban argenté de la Seine et enfin ce fut le clocher des Blancs-Manteaux. En un instant tout était rentré dans l’ordre, les cloches, sagement rangées à leur juste place. Jean quitta la tour alors que derrière lui le bronze commençait à frémir, à se balancer, Pâques allait se proclamer au monde…

Inutile de vous dire que ce matin là on entendit sonner comme jamais la gloire du Christ ressuscité, une sonnerie « en plenum », en « Grand Solennel » oui, une sonnerie éblouissante, sans pareille, emplie d’une allégresse hors du commun. On dit même que les habitants du quartier des Blancs-Manteaux, étonnés, assemblés en foule dans les rues autour de l’ancien monastère, entendirent, ce fameux matin-là, un chant de bronze si beau qu’il paraissait venu de bien au-delà des nuées, oui bien au-delà des nuées…

Et le petit Jean, notre enfant de chœur voyageur ? Que devint-il ? Eh bien il reçut de son oncle l’abbé Garenne une pénitence pour son manquement à l’office et sa curiosité… mais quand il raconta à son oncle ce qu’il avait vu, le bon abbé Garenne, ému aux larmes, lui donna sa bénédiction…