Le premier Noël de Notre-Dame des Blancs-Manteaux. Conte.

A l’occasion du huitième centenaire de la première crèche, créée par saint François d’Assise, notre ami, Alain Sartelet, a de nouveau laissé libre cours à son imagination et à son art pour nous donner un très joli conte et un très touchant dessin.

Merci à lui pour ce rayon de lumière dans une période difficile.

Dessin : Alain Sartelet.

LE PREMIER NOÊL DE NOTRE-DAME DES BLANCS-MANTEAUX

Ce n’était pourtant pas la première fois que Benoît de Saint Roch, le prieur des Blancs-Manteaux, se rendait au palais royal de la Cité mais à chacune de ses venues il était vivement impressionné par l’ampleur et la magnificence du lieu, l’enceinte fortifiée, les tours énormes dont les bases baignaient dans les eaux de la Seine, la chapelle de l’archange Michel, près de la grande porterie, le chantier bourdonnant de la chapelle-reliquaire qui s’élevait dans la grande cour et où, par la volonté du souverain, allait bientôt reposer la très sainte couronne d’épines de Notre Seigneur Jésus-Christ…

Le prieur présenta son laissez-passer aux gardes et gravit les degrés du majestueux escalier qui donnait accès à la double nef de la salle royale et à sa forêt de colonnes.

Là, dans la lumière chatoyante des verrières, devant une foule immense, chamarrée et bruissante, une nuée de marchands vendaient des images peintes, de petits psautiers enluminés, des patenôtres, des bijoux, des enseignes de plomb à l’image de Dame Marie ou de petits colifichets à la mode qui retenaient l’attention des belles dames de la cour. Le prieur, accompagné d’un garde, se dirigea vers les appartements royaux…

Dans la grande chambre qui ouvrait ses baies à croisillons de pierre sur le jardin et la roseraie, le roi, vêtu d’une simple tunique de laine brune jouait avec ses enfants tout en dictant une lettre à maître Le Clair, son secrétaire. Le prieur s’inclina, tendit son placet au roi qui le salua en souriant.

« Eh bien, messire prieur, votre église est-elle achevée ? »

« Oui, sire, grâce à vous et à messire Eudes de Montreuil, votre architecte… C’est d’ailleurs l’objet de ma visite de ce jour, l’église étant parachevée, mes frères et moi aurions grand plaisir, oui, grand plaisir et grand honneur à vous recevoir parmi nous pour fêter la Noël… »

Le roi, visiblement charmé, accepta…

« Très bien, merci mon ami, je viendrai et la reine m’accompagnera… »

Inutile de vous dire que la nouvelle fut accueillie aux Blancs-Manteaux avec un immense contentement. Les frères ne se tenaient plus de joie.

Commencèrent alors de ferventes discussions au chapitre, au réfectoire et au cloître pour savoir comment orner le chœur de l’église pour la royale visite, il faudrait tant et tant de cierges de cire fine, des tapis, des braseros pour briser la froidure du sanctuaire… Chacun y allait de son commentaire et de son avis et peu à peu, au milieu des palabres et des oraisons, la sainte fête de Noël approchait….

Le vingtième jour de décembre, la date est restée inscrite dans les chroniques et dans les mémoires, un chevaucheur portant la livrée royale bleue à lys d’or, se présenta avec son escorte à la grande porte du couvent… Sur leur demande, on les conduisit auprès du prieur… Tous au couvent avaient remarqué que parmi eux, deux hommes en armes portaient une caisse de bois ferré. C’était un présent du roi… Dans la magnifique salle du Chapitre, on forma cercle, on ouvrit la caisse, on retint son souffle, le silence était total…

À l’intérieur de la caisse, bien callées par de petits coussins de velours rouge, des formes pâles apparurent… Un Ooooh de surprise retentit, on reconnaissait Marie, Joseph, le bœuf et l’âne et l’enfant Jésus dans sa petite mangeoire. Les merveilleuses figurines étaient ciselées avec un art consommé dans le plus fin des ivoires. Le présent était véritablement royal…

Le messager du roi expliqua aux religieux étonnés que sa majesté tenait cette idée de son maître spirituel, le frère François d’Assise. C’était en effet une idée fort nouvelle que de célébrer en images la Nativité du Sauveur.

Tous ici, savaient, bien sûr, que le roi Louis, touché par un grand désir d’humilité était devenu tertiaire parmi les frères qui suivaient la piété et les préceptes de pauvreté enseignés par le frère François. Le nouvel ordre Franciscain, comme la coutume des crèches de Noël, se répandait alors dans toute la chrétienté …

Au chapitre, on veilla tard dans la nuit, à la lueur tremblante des cierges, on contemplait sans se lasser, les gracieuses figurines puis on les tint au secret jusqu’au jour tant attendu.

Au soir du 24 décembre, les rues entourant le couvent des Blancs-Manteaux ainsi que la cour étaient noires de monde, on battait le pavé enneigé, on grelottait, on murmurait, on commentait, on riait, la joie était extrême, palpable… Soudain, le silence se fit, un bruit de cavalcade, au loin, le roi arrivait…

Le cortège eut grand peine à se frayer un passage, les vivats de la foule redoublèrent. Les portes de l’église Notre-Dame restèrent ouvertes pendant toute la messe afin que chacun au dehors puisse entendre.

À l’intérieur la vue était d’une beauté indicible, stupéfiante, les serviteurs de Marie et leur prieur, tous de blanc vêtus assis dans les stalles de chêne blond, formaient cercle dans le chœur. Le roi et la reine s’agenouillèrent devant la crèche d’ivoire placée aux pieds de l’autel puis regagnèrent leurs fauteuils pour « ouïr messe ».

Tout fut sublime : la piété intense, la splendeur des chants et de la musique dirigée par le chantre des lieux, frère Michel, le doux parfum de cire vierge, la fragrance délicate des volutes d’encens filant vers les voûtes en spirales bleutées… Oui, ce Noël fut sublimement saint…

Ce Noël là, je le répète, fut l’un des plus beaux Noël vécus aux Blancs-Manteaux… C’était il y a fort longtemps, et le temps a passé, l’église voulue par le roi Louis a été reconstruite, la belle crèche d’ivoire a disparu ; les serviteurs de Marie s’en sont retournés auprès du Père, remplacés par d’autres, puis par d’autres… Alors, me direz-vous amis lecteurs, que reste-t-il ici aujourd’hui, aux Blancs Manteaux ? C’est bien simple, il reste l’essentiel, la piété, une piété redoublée au moment de Noël…

Texte et dessins : Alain Sartelet.