Conte. L’Orfèvre du Palais royal

ou Le fabuleux trésor de Maître Poncin

Dessin : Alain Sartelet.

Cette histoire fort édifiante et mémorable mérite grandement d’être racontée à tous, habitants de Paris ou d’ailleurs, tant elle est en mesure d’amender certaines conduites. Ne cherchez pas de témoins vivants, ils s’en sont tous allés dessous la terre il y a fort longtemps. Mais si les protagonistes de ce récit ne peuvent plus témoigner c’est le bouche à oreille qui a heureusement pris le relais, et cette histoire est parvenue sans failles ni manques jusqu’à nous. Voulez-vous l’entendre ? Oui, bon, je commence, la voici :

Nous étions alors au 15ème siècle, dans la bonne ville de Pais, exactement dans l’île de la Cité, blottie entre deux bras argentés de la Seine, la rivière qui caressait les bases de ses remparts et de ses quais. Non loin de l’antique palais de la Cité où résidait alors le roi, tout près de l’antique Chapelle Saint-Michel, se trouvait l’échoppe d’un maître orfèvre fort réputé, du nom d’Aubert Poncin. Le bonhomme, fort doué dans son art avait œuvré à orner la Sainte-Chapelle, et l’église cathédrale, oui, Notre-Dame, la reine de toutes les cathédrales. On disait l’homme fort riche mais aussi fort avare… De surcroît il était veuf et sans enfants, son unique parentèle se résumait à 4 neveux forts laids, forts avares et qui jamais ne le visitaient. Ils attendaient avec une patience infinie le décès de leur oncle pour profiter, enfin, d’une fortune qui leur revenait, croyaient-ils, de plein droit… Dans la ville on parlait beaucoup, on observait la boutique brillamment éclairée, on s’extasiait devant les allées et venues des clients, des gros clients, seigneurs, ambassadeurs, abbés mitrés et crossés, chanoines gros et gras à lard, venus du palais et même parfois de fort loin pour acquérir, fort cher, les merveilles d’or ou d’argent, châsses, couronnes ou reliquaires, toutes choses fabuleuses forgées par les mains habiles de cet artisan si favorisé du Ciel. On comptait, bien sûr sans les voir et à sa place, les écus, les ducats, les florins de notre maître orfèvre. On en multipliait le nombre, bref au dire de la rumeur, la fortune de maître Poncin était colossale. On savait qu’il y avait sous sa maison des caves fort profondes et fort obscures où devait s’entasser l’or dans des coffres grands comme des armoires de sacristie… Ah cet or, on le voyait presque, on l’entendait tinter et sonner comme des clochettes d’anges du Paradis on le sentait presque dans sa paume, lourd et chaud, si beau, si séduisant, si brillant, avec cette couleur sans pareille, oui, des parcelles de soleil… A quelques pas de là, les 4 neveux, toujours laids et avares, guettaient comme des aragnes dans leur toile, surveillant une mouche avec une patiente et cruelle détermination. Enfin, oui enfin, un matin, les volets de la boutique silencieuse ne s’ouvrirent pas, maître Poncin était mort…. Nos 4 neveux accoururent bien vite, ils se firent ouvrir la porte avec forces pinces. On emporta la dépouille de maître Poncin sur un misérable brancard… Aussitôt, les 4 neveux laids et avares commencèrent à explorer et fouiller la boutique, on ouvrit les armoires, rien, les tiroirs aussi, rien. L’atelier de l’orfèvre était vide, rien , pas la moindre bribe de métal précieux, pas une rognure d’or, ni un grain d’argent, non, rien. Les caves étaient vides et les coffres aussi. Avec pioches et pelles, les 4 frères défoncèrent le sol des caves, rien, rien que de la terre, enfer et damnation il n’y avait rien… Inutile de vous dépeindre la consternation qui se peignit sur les visages des héritiers devenus gris de dépit… Vint le temps des funérailles, de bien pauvres funérailles, les neveux en rage, dépensèrent le moins d’argent possible. On enterra maître Poncin à la sauvette, avec quelques prières. Cet homme si riche eut les funérailles d’un gueux, tout juste enveloppé d’un drap. Cela pourrait être la fin de cette histoire mais on assure que le jour des obsèques on vit la grande cathédrale de Paris, oui, Notre-Dame, se remplir de milliers de personnes, oui des milliers mais ce n’était pas n’importe qui, non, mais des milliers de pauvres, mal vêtus, mal coiffés mais tous avaient quelque chose en commun, une merveilleuse lueur de reconnaissance dans le regard qui transfigurait leur gueuserie. Maître Poncin que l’on croyait être un ignoble avare avait été sa vie durant d’une générosité sans pareille et tout son bien peu à peu et dans le plus grand secret avait été donné, fractionné, dispersé en des milliers de mains et tous à l’annonce de la mort de leur bienfaiteur étaient accourus de partout, de Vincennes, de Saint-Denis, de Poissy, de Royaumont, de Longchamp, de Saint-Germain et même, dit-on de Rouen, de Reims et de Provins… Oui c’était merveille, tous étaient venus pour lui rendre un dernier hommage. Grâce à eux et à leur recueillement, maître Poncin eut les funérailles d’un saint, sincèrement pleuré par ses frères. Bien sûr, dans la cathédrale comble on remarqua la basse mine des 4 neveux qui assurément ne comprirent pas la leçon que leur offrait le ciel et que je résumerais ainsi : « Si tu passes ta vie à attendre le bien d’autrui, tu risques d’attendre en vain… » Cette histoire que je viens de vous conter, amis parisiens, est fort véridique et comme toutes les choses bonnes et belles, elle mérite qu’on la partage…

(Texte et dessin Alain Sartelet, octobre 2022)