Conte. Un miracle de Noël à Notre-Dame des Blancs-Manteaux

Au couvent des Blancs-Manteaux, on priait et méditait le grand mystère de l’Annonciation… L’histoire que voici, se déroula sous le règne du roi Louis, neuvième du nom, dans la nuit de Noël de l’an de grâce 1260…

Un homme, la capuche blanche rabattue et tenant un flambeau arpentait le couloir du dortoir à vive allure, courant presque… Il s’arrêta devant la porte de la petite cellule du prieur, le père Benoît de Saint-Martin. Il hésita un instant et entra sans frapper, il tremblait, la stupeur était peinte sur ses traits. La cellule était à demi obscure. Dans l’âtre presque froid, un feu se mourrait. Quelques rares flammes jetaient sur l’austère mobilier et sur le grand Christ d’ivoire une lueur vacillante, incertaine… L’homme au flambeau posa une main mal assurée sur le bras du prieur endormi et le secoua vivement « Messire prieur, éveillez-vous vite, il s’est produit quelque chose d’extraordinaire… » Le moine serviteur de Marie murmura quelques paroles à l’oreille de son supérieur. Aussitôt, celui-ci se leva d’un bond, se signa, s’habilla et chaussa ses sandales. Déjà, au dehors, dans la cour du cloître l’agitation était extrême, trente moines vêtus de blancs courraient en tous sens sur la neige en criant « Regardez l’église, regardez l’église !!! ». Quelqu’un mit en branle la grande cloche de la haute flèche qui dominait la toiture de l’église, s’ensuivit une sonnerie aux notes rapides, pressées, sentant la peur, la terreur et la précipitation des jours sombres, c’était le tocsin… Le tocsin, ce chant sinistre qui glaçait les cœurs annonçait les guerres, les épidémies, les incendies ou les crues mauvaises de la Seine… Au pied du grand escalier du dortoir, le chantre du couvent, frère Delorme était là immobile, essoufflé, la robe maculée de neige, les pieds bleuis de froid dans ses sandales détrempées. Il avait couru, une torche à la main depuis l’église jusqu’aux moindres recoins du monastère pour annoncer l’incroyable nouvelle et répéter à tous ce qu’il avait vu dans l’église… Le tocsin avait fait son œuvre et la formidable nouvelle s’était répandue dans tout le quartier, depuis l’Hôtel de Ville jusqu’à l’église Saint-Paul… Des myriades de maisons, de masures et d’hôtels s’étaient vidées en un éclair. On voulait voir, être là en cette nuit si sainte et si pénétrée de mystère. Au long des rues et ruelles blanchies par l’hiver on accourait en criant « Vite, à l’église !!! »… Et c’est un immense cortège qui cheminait à la lueur des lanternes et des torches. Une voie lactée en mouvement rampait sur le sol blanc de givre. Il y avait là les gardes du guet, leurs officiers, des cuisiniers, des boulangers, des bourgeois en pelisse de petit-gris, des frotteurs de parquets, des lingères en sabots, quelques seigneurs chamarrés, des rôdeurs de nuit et quelques tire-laine, tous battaient le pavé devant le couvent dont l’église magnifique flamboyait de toutes ses immenses verrières… Mais ce n’était pas un incendie avec son cortège de sinistres lueurs dansantes, non, c’était bien autre chose… Toutes les fenêtres de la grande église jetaient au dehors, à la face de la nuit, une indicible clarté que la neige, complice, renvoyait aux étoiles. La vue était irréelle, grandiose. Chacun s’interrogeait, saisi par la grandeur de l’instant. On se massait devant le portail de l’église, une vive lumière filtrait sous la massive porte de chêne. Le prieur donna des ordres à frère Clair, le portier, qui s’empressa d’ouvrir les deux vantaux au large. La foule entra. Le chœur était inondé du plus ardent des soleils mais c’était un astre qui n’aveuglait pas… On s’approcha lentement de l’autel, prudemment, saisis de crainte… Peu à peu on distingua une silhouette dans le flot de lumière, c’était un tout petit enfant, fort joli, à demi-nu, les reins ceints d’un linge immaculé, ses petits pieds étaient posés sur un globe qui paraissait fait d’or, de sa petite main gauche il tenait une sphère surmontée d’une croix dont le bleu magnifique rappelait celui des voûtes de la Chapelle de messire le roi en son palais de la Cité. La minuscule main droite de l’enfant esquissa un tendre geste de bénédiction. Sa chevelure bouclée d’or ondoyait. L’enfant souriait…. La foule, émue et ravie, s’agenouilla, les frères serviteurs de Marie accourus eux aussi en hâte firent de même. Le prieur releva la tête un bref instant et remarqua que les lèvres de l’enfant bougeaient, assurément il parlait mais on n’entendait aucun son… Le prieur fit venir frère Roger, un docte moine sourd-muet de naissance qui était passé maître dans l’art de lire sur les lèvres. Il observa, comprit, sourit et prit le petit carnet qui l’accompagnait toujours et où il notait ce qu’il voulait dire, il y traça quelques mots… Bien vite, le carnet, passa de mains en mains, il y était inscrit cette phrase : « JE SUIS LE SAUVEUR DU MONDE » Quand tous eurent lu le message, la grande lumière pâlit, l’enfant s’effaça lentement, toujours souriant, il devint léger et diaphane comme une brume d’automne et tout disparut, c’était fini, il ne restait plus que l’obscurité et le silence… Soudain à la grande baie du chœur parut une étincelle, une goutte d’or liquide, une nouvelle aurore jaillissait, chassant la nuit dans une nuée orangée… C’était déjà le matin de Noël, magnifié par cette aube sans rivale, une des plus belles jamais vues dans le ciel de Paris. Chacun garda, ancrée en son cœur, la mémoire de cette nuit de Noël, cette sainte nuit de Noël de l’an 1260 où un enfant, et quel enfant, avait souhaité se laisser contempler par tous, petits et grands, non pas pour crier mais pour murmurer au monde ce si beau message, afin que nul ne l’oublie : « JE SUIS LE SAUVEUR DU MONDE »…

(Texte et dessin Alain Sartelet)