Voici un conte de Noël qui se passe chez nous. Un grand merci à Alain Sartelet, auteur et illustrateur.
Pour lire le conte :
LE MANTEAU
Cette histoire est courte et vous en connaissez sans doute la trame pour avoir, au moins un jour, de vos yeux, côtoyé la misère. La vraie misère, celle qu’on dit « noire », celle qui se voit et change un homme et parfois le détruit. Justement c’est d’un homme dont je voudrais vous parler… Comment s’appelait cet homme ? Personne ne l’a jamais su… On l’appelait « le vieux ». Vieux, il ne l’était pas vraiment mais la misère abime les corps et altère les apparences. Sa barbe hirsute et ses vêtements sales et déchirés n’arrangeaient rien… Ce « vieux » là avait été chassé de partout, de la salle d’attente de la gare de l’Est, de la porte des grands magasins où il demandait une petite pièce. Là, des vigiles lui avaient intimé l’ordre de laisser les clients en paix, libres de venir remplir à leur guise des charriots chargés à ras-bord de choses grasses et sucrées. Noël approchait voyez-vous et seul le chiffre d’affaire comptait, les gardiens implacables avaient des ordres de la direction, « le vieux » faisait comme une tache à côté du père Noël du supermarché qui séduisait les petits enfants béats et les mamans pressées avec sa fausse barbe, son faux ventre et son air patelin. Le « vieux », empli de désespérance, avait renoncé et il avait quitté cette rue inhospitalière au soir de Noël. Les lumières de la fête étaient pour lui autant de blessures qui lui rappelaient combien il était indésirable. La mort dans l’âme, il erra longtemps dans les rues désertes et s’enfonçait dans une nuit aux lendemains incertains. De rares voitures filaient sans s’arrêter, il n’était plus qu’une ombre fugitive dans le pinceau lumineux des phares, il n’était déjà presque plus rien… La nuit était de plus en plus épaisse, le sol craquait et croquait de givre et de neige sous ses pas, de plus en plus hésitants. La fatigue le gagnait et envahissait ses membres…. Épuisé au-delà de toute mesure, il s’arrêta, se laissa choir et se recroquevilla au pied d’un arbre et attendit, grelotant de froid et de faim… Au milieu de cette nuit si sainte pour les hommes, le sommeil vint enfin, ce sommeil inquiet des malheureux, ce sommeil des pauvres qui risque d’emporter leur vie dans un souffle. Puis ce fut le noir, le néant… La mort, peut-être, la paix, enfin…
Au petit matin c’est un clair soleil et des chants d’oiseaux qui le réveillèrent. Tout près de lui il remarqua de drôles de traces dans la neige… C’était des traces de pas, toutes fraîches, des empreintes de pieds nus… Quelqu’un était passé là, tout près de lui durant la nuit… La mort ne l’avait pas pris dans ses griffes et il sentait dans son corps une bienfaisante et douce chaleur. À sa très grande stupeur il vit qu’il était entièrement enveloppé dans un vaste manteau de la meilleure laine, sans trous, sans taches aucune, propre et chaud, merveilleusement chaud… Mais ce n’est pas cela qui l’étonna le plus, non, c’est la couleur de ce manteau providentiel, offrande de la nuit, le manteau était rouge, d’un rouge admirable, écarlate, un rouge de triomphe. Il en était bien conscient, ce manteau lui avait sauvé la vie en cette nuit de Noël glaciale. « Le Vieux » vêtu de rouge se leva, repris sa route, vers son destin, baigné du clair soleil de ce matin de Noël… Au loin, au-dessus des campagnes et des villages, une mer de carillons glorifiait le ciel…
On raconta par la suite dans le quartier une bien étrange histoire survenue au même endroit, la même nuit de Noël et rapportée par le sacristain de Notre-Dame des Blancs-Manteaux. Quand celui-ci ouvrit les portes du sanctuaire au matin de Noël, il sentit qu’il y avait quelque chose d’anormal dans son église, mais quoi ?… Il leva les yeux et il vit… Le grand tableau, le magnifique « Christ aux outrages » était toujours là, à sa place dans son grand cadre doré, oui mais, vous me croirez si vous le voulez, quelque chose avait changé dans le tableau, oui je dis bien « dans » le tableau… Le Christ avait toujours sa couronne d’épines, son roseau, les mains et les pieds toujours entravés de cordes, oui, mais…Les épaules du Seigneur étaient nues…A cette vue le sacristain ne put réprimer un terrible frisson, le grand manteau rouge du Christ avait disparu…
Texte et illustration : Alain Sartelet