Le mystère du clocher de Notre-Dame des Blancs-Manteaux

Nous sommes heureux de vous communiquer un nouveau conte de notre ami Alain Sartelet.

L’ENFANT DANS LA BRUME OU LE MYSTÈRE DU CLOCHER DE NOTRE-DAME DES BLANCS-MANTEAUX

 

C’est mon ami le choucas des tours qui m’a raconté l’histoire étrange que je vous livre aujourd’hui… Je n’ai pas voulu attendre pour vous en faire part tant elle m’a ému pendant que je la transcrivais sous sa dictée… Oui, certes l’affaire est étrange mais elle est pourtant rigoureusement authentique. Cette histoire, fut glanée au hasard d’un des voyages de mon ami volant dans le passé de Paris. C’était par un temps d’hiver, de neige et de brume mais le choucas n’a pas pu préciser l’époque à laquelle situer cette aventure, sans doute vers 1700, en tout cas bien avant la révolution qu’on dit « grande »…

Le choucas est un expert du temps et des voyages dans les siècles, mais parfois, la brume des petits matins d’hiver, qui enveloppe les paysages parisiens de mystère, brouille aussi le décompte des années… Quoi qu’il en soit, voici les faits :

Maître Alain de la Roche était sonneur de son état, au service de ces messieurs les bons pères Bénédictins desservants la vénérable église  du monastère des Blancs-Manteaux de l’ordre de Saint-Maur, que leur mémoire soit bénie…. Maître Alain était un serviteur laïc, il ne résidait pas au sein du monastère et ce matin-là, de fort bonne heure, il quitta sa petite maison située rue de Paradis, face au chœur de l’église déjà illuminé malgré l’heure fort matinale. Le chemin était court et ce n’était pas encore l’heure de l’angélus, il faisait sombre, il neigeait, la rue était presque déserte et il n’entendait que ses propres pas dans la neige épaisse qui recouvrait les pavés… CROC-CROC…

Soudain, son attention fut attirée par un bruit inhabituel, du côté du ciel, vers le haut clocheton effilé qui coiffait la grande tour du couvent… La grosse cloche tinta d’une bien étrange manière, un seul coup mais très bref, un son de bronze, mat et assourdi, un peu comme celui que provoque un oiseau égaré qui frappe une vitre. Il y eut un éclair de lumière suivi d’un bruit de chute sur le plancher du clocheton puis une gerbe d’étincelles qui coulèrent en pluie brasillante au long du clocher et vinrent mourir sur la neige du trottoir… PSCHHHHH… … Puis ce fut à nouveau le silence de l’hiver et de la nuit… Que s’était-il passé là haut, il fallait absolument savoir… Maître Alain fouilla la poche de son manteau, en sortit la grosse clef de fer, CRIC-CRAC, la petite porte s’ouvrit en grinçant sur les ténèbres qui noyaient la tour et son escalier. Maître Alain se hâta, monta les marches quatre à quatre et arriva enfin au plus haut du clocher… Là, la surprise le saisit, il manqua défaillir…

Sur le plancher, sous la cloche immobile, un enfant était allongé dans la neige… Oui un tout petit enfant, pieds nus, vêtu d’une simple tunique blanche, aussi blanche que la neige elle-même … L’enfant ne bougeait plus, il avait les yeux clos, une bosse marquait son front d’ivoire pâle, sous les boucles de ses cheveux blonds… Maître Alain, stupéfait, vit que l’enfant avait, soigneusement repliées dans son dos, des ailes, oui, deux ailes transparentes et nacrées qui luisaient doucement comme du verre irisé à la lumière du petit jour… Serait-ce possible ??? Un ange ??? Ici, aux Blancs-Manteaux ???

Maître Alain s’approcha, s’agenouilla auprès du petit corps qui paraissait sans vie, il saisit dans sa main un peu de neige et l’appliqua délicatement sur le front du petit visiteur… celui.ci, lentement, très lentement, ouvrit les yeux, sourit, se leva et dit simplement en s’inclinant avec une grâce infinie « Merci, mon ami »…Maître Alain osa poser une question « Qui es-tu, mon enfant ? »

L’ange, car c’était bien un ange, répondit de bonne grâce, « Je suis l’ange gardien du petit Claude Mercier, le fils du meunier du moulin du pont au Change, je viens de le secourir alors qu’il allait périr dans les eaux glacées de la Seine où il était tombé… Ma tâche accomplie je repartais Là Haut dans les cieux, reprendre ma garde et attendre une autre alerte mais la brume m’a surpris, égaré, j’ai heurté la cloche de ton église et puis tu m’as sauvé, mon ami, merci… »

A ces mots l’ange tira de sa poche une sorte de montre ronde et toute dorée, il fit jouer le couvercle, sur le cadran, brillant comme un incomparable diamant, une foule d’aiguilles affairées courraient vers de minuscules chiffres étranges… A cet instant, la montre sonna, jouant un air délicat et léger, comme issu de milliers de claires petites clochettes de cristal…. « Ah, dit l’ange, Je dois te quitter, mon maître m’appelle … » POUF l’enfant céleste avait disparu…Maître Alain se retrouva seul, interdit, dans son clocheton silencieux et ouaté de brume… Inutile de vous dire que ce matin là on entendit maître Alain de la Roche sonner un angélus sans pareil, empli d’une allégresse peu commune. Mon ami le choucas prétend même que les habitants du quartier des Blancs-Manteaux, étonnés, assemblés en foule dans les rues autour du monastère, entendirent, ce fameux matin-là, un Angélus si beau qu’il paraissait venu de bien au-delà des nuées…

 

(Un conte imaginé, écrit et dessiné par Alain Sartelet)